Discours prononcé par le Premier Ministre Wen Jiabao à l'Ecole Polytechnique

2005-12-06 00:00

Le 6 décembre 2005, le Premier Ministre Wen Jiabao, en visite officielle en France, a prononcé à l'Ecole Polytechnique un discours intitulé « Construisons ensemble un monde harmonieux dans le respect de la diversité des civilisations ». Voici le texte intégral :

CONSTRUISONS ENSEMBLE UN MONDE HARMONIEUX DANS LE RESPECT DE LA DIVERSITE DES CIVILISATIONS

−−− Discours de M. Wen Jiabao,
Premier Ministre du Conseil des Affaires d'Etat
de la République populaire de Chine,
à l'Ecole Polytechnique

(Paris, 6 décembre 2005)

Monsieur le Ministre de l'Education nationale,
Monsieur le Directeur général,
Chers Professeurs et Elèves,

L'Ecole Polytechnique est un motif de fierté pour la France. Réservoir d'intellectuels brillants et de savants d'élite, berceau de grands talents comme Henri Becquerel, Urbain Le Verrier et Maurice Allais, elle a contribué au progrès de la civilisation française et même aux civilisations du monde tout entier. Je me félicite vivement de l'invitation qui m'a été faite de donner une conférence dans ce prestigieux établissement.

Mes propos s'articulent autour du thème « Construisons ensemble un monde harmonieux dans le respect de la diversité des civilisations ».

Tout au long de l'histoire de la société humaine, nos ancêtres, courageux, ingénieux et laborieux, ont créé des civilisations aussi riches que splendides. Au fil du temps, certaines d'entre elles sont devenues des faits du passé, d'autres se sont renouvelées sans cesse et perpétuées jusqu'aujourd'hui. D'autres encore se sont intégrées, engendrant de nouvelles civilisations. A présent, les civilisations humaines sont en profonde mutation. Les progrès technico-scientifiques ainsi que les échanges économiques et culturels rapprochent les différentes civilisations. Sur les Champs-Elysées à Paris, comme sur l'avenue Chang'an à Beijing, se côtoient des gens aux costumes, aux couleurs et aux accents différents. En Orient comme en Occident, les échanges humains n'ont jamais été si intenses. Aucune culture ne peut plus avoir le monopole dans notre vie quotidienne. La culture constitue l'âme de chaque nation, en même temps que le socle qui lui permet d'exister et de durer. Pour la Chine comme pour la France, la culture qu'elle hérite et développe représente la racine de sa nation et l'âme de son Etat. La diversité culturelle est une caractéristique majeure des civilisations humaines. Elle est essentielle à la société humaine, tout comme la diversité biologique l'est à la nature. C'est là une réalité objective. Les civilisations humaines ne peuvent donc progresser que dans le respect de la diversité des cultures.

La clé de la coexistence et de l'évolution durables des différentes civilisations réside au fond dans la « concorde », à savoir : la paix entre les Etats, l'entente homme-homme et l'harmonie homme-nature.

Du point de vue du développement des civilisations humaines, la paix doit être la première priorité. La coexistence pacifique est-elle possible entre les pays de différentes civilisations ? Bien sûr que oui. La planète où nous vivons compte plus de 6 milliards d'habitants, plus de 200 Etats, quelque 2 500 ethnies, environ 6 000 langues et de nombreuses religions telles que le christianisme, le catholicisme, l'islam, le bouddhisme et le taoïsme. Ce sont justement l'interdépendance, la communication, l'inspiration mutuelle et l'interaction aux reflets réciproques entre les différentes civilisations qui entretiennent la vie de ce monde à mille facettes. Depuis l'antiquité, les Chinois sont animés d'une philosophie fondée sur la primauté de la paix, l'entente respectueuse de la diversité et l'équilibre actif des différences. La « primauté de la paix » signifie que la solidarité, l'entraide, l'entente et l'amitié doivent prévaloir comme principes suprêmes dans les rapports entre Etats, nations et peuples. L'« harmonie respectueuse de la diversité » veut dire que chaque Etat ou nation doit se montrer tolérant et accueillant vis-à-vis des autres civilisations tout en conservant les éléments précieux de ses propres traditions culturelles. L'« équilibre actif des différences » fait penser que seules l'assimilation et l'inspiration mutuelles entre les différentes civilisations favorisent la genèse et le renouvellement, et concourent au progrès des civilisations. L'harmonie représente une valeur fondamentale du patrimoine culturel de la Chine, un idéal pour lequel la nation chinoise n'a jamais cessé d'œuvrer. Dès la dynastie des Tang, soit il y a plus de mille ans, la Chine procédait à des échanges très intenses avec le monde extérieur, nouant des relations avec plus de 70 pays. On assistait à des va-et-vient pacifiques et incessants des missions diplomatiques et des caravanes commerciales sur la Route de la Soie. La culture chinoise se répandait ainsi jusqu'à l'Empire romain d'Orient et dans les pays arabes. Dans le même temps, la danse, la musique, la peinture, l'art culinaire, le style vestimentaire et les religions des Chinois à l'époque des Tang recevaient un apport bénéfique des cultures étrangères, ce qui a permis à la civilisation chinoise d'atteindre un nouvel apogée.

L'entente homme-homme est un signe important de toute société civilisée, de même que la base de la stabilité de chaque Etat. Mencius, grand sage de la Chine antique, disait : « La chance accordée par le Ciel ne vaut pas les avantages du terrain, et les avantages du terrain ne valent pas l'entente des hommes ». Selon ce précepte, les hommes sont capables de vaincre toute difficulté, pourvu qu'ils vivent en bons termes. Or, la réalisation d'une vraie entente homme-homme exige le développement des forces productives, l'élimination de la pauvreté, l'éradication du retard et la garantie d'une vie aisée pour la population. Elle impose le règne de la justice et de l'équité, l'égalité de tous les citoyens devant la loi ainsi que le respect et la protection des droits de la personne humaine. Enfin, elle suppose l'union, la tolérance, le respect, la bienveillance, le partenariat et le bon voisinage entre les gens issus d'ethnies différentes et ayant des convictions diverses.

L'harmonie homme-nature est un préalable au développement des civilisations humaines. La culture chinoise préconise l'« unité entre le ciel et l'homme », ce qui englobe l'idée d'harmonie homme-nature. Les ressources et l'environnement constituent les conditions essentielles à l'existence des êtres humains. Le développement des civilisations humaines a toujours été conditionné par la nature. L'homme peut chercher à comprendre la nature, à coexister et à se développer avec celle-ci dans l'harmonie. Néanmoins, il lui est interdit de la détruire. Le déclin tragique de certaines civilisations anciennes qui avaient prospéré pendant un temps s'explique notamment par une exploitation insensée et une spoliation sauvage de la nature, qui a fini par se retourner contre les hommes et leurs civilisations. Il est donc dans l'intérêt général de l'humanité tout entière de ménager et de soigner la nature. Une planète déséquilibrée ne saurait soutenir le majestueux édifice d'une civilisation moderne.

Le 20e siècle, qui vient de s'écouler, a été témoin d'un essor prodigieux des civilisations humaines. Les avancées technico-scientifiques, l'expansion économique, l'affranchissement des esprits et les créations artistiques qui ont jalonné cette période dépassent ceux des milliers d'années précédentes et témoignent d'un épanouissement extraordinaire du génie de l'humanité. Cependant, la médaille a son revers : Le 20e siècle a également été marqué par des guerres fratricides, des destructions massives de l'écosystème et de nombreux fléaux comme la pauvreté, la famine et la maladie. Le 21e siècle procure aux civilisations humaines des opportunités de développement sans précédent, mais aussi les met devant des défis jamais vus. L'humanité ne peut développer durablement ses civilisations que dans la paix entre les Etats, dans l'entente entre les hommes et dans l'harmonie homme-nature.

Toute civilisation dans le monde grandit et progresse à travers les mutations. Dans le « Yijing », ouvrage philosophique classique datant de l'époque des Zhou (VIe siècle av. J.-C.), on lit ceci : « Le néant amène le changement ; le changement conduit à la solution ; et la solution génère la stabilité ». La civilisation chinoise, qui plonge ses racines dans la profondeur des âges, n'est pas immuable. Depuis des milliers d'années, elle se développe sans arrêt. Quoiqu'à des moments d'une époque peu lointaine, elle ait pris du retard, elle a toujours su se redresser vigoureusement et avancer de nouveau à grands pas. Cette progression ininterrompue n'est pas le fait d'un hasard. Le fondement et le moteur intrinsèque de l'épanouissement de la civilisation chinoise résident dans sa vigueur, sa fermeté, son indépendance, son ouverture, sa tolérance ainsi que son sens de réforme et d'innovation. C'est grâce à des efforts persévérants de renouvellement et de changement que la civilisation chinoise s'est transmise de génération en génération, en gagnant continuellement en splendeur.

Avec la naissance de la Chine nouvelle au milieu du siècle dernier, « le peuple chinois s'est mis debout ». Voilà un jalon important dans la longue histoire de la civilisation chinoise. La société socialiste chinoise est une société en mutation, une société ouverte, une société en constante évolution et perpétuel perfectionnement. Elle sera marquée, durant son processus de modernisation, par la réforme et l'ouverture. A la fin des années 1970, la Chine a lancé une politique de réforme et d'ouverture dans le cadre de son régime socialiste. Il s'agit là d'une réforme qui se veut globale. En effet, tout en poursuivant la réforme du système économique, la Chine œuvre énergiquement à la réforme des systèmes politique, culturel, de la gestion des affaires sociales... Appliquer la réforme et l'ouverture, c'est mobiliser pleinement l'ardeur et la créativité des centaines de millions de Chinois pour libérer et développer davantage les forces productives et répondre aux besoins matériels et culturels croissants de la population ; c'est s'inspirer, amplement et dans un esprit d'assimilation judicieuse, des acquis de toutes les autres brillantes civilisations du monde pour pérenniser le dynamisme et la vitalité du socialisme ; c'est matérialiser le concept scientifique de développement pour assurer par l'édification d'une société harmonieuse le plein épanouissement de l'homme ; c'est perfectionner le système démocratique, élargir la participation ordonnée des citoyens aux affaires politiques et mettre en œuvre la politique fondamentale de gouvernance par la loi pour réussir la construction d'un Etat de droit socialiste. Bref, la réforme rend notre société plus développée, plus libre, plus égale, plus respectueuse de l'ordre et de la légalité, de sorte que la civilisation chinoise rayonne d'un plus vif éclat.

Sortir de la pauvreté et réaliser le développement, c'est un idéal, un rêve caressé par le peuple chinois de génération en génération. Depuis toujours, notre nation, même dans les moments les plus difficiles, garde jalousement avec elle un flambeau qui lui éclaire le chemin du progrès et entretient l'espoir et le courage dans le cœur de chacun. Nous savons bien que la Chine, pays sous-développé et peuplé de 1,3 milliard d'habitants, fait face dans son développement à des problèmes d'une envergure et d'une complexité hors du commun, et qu'elle a encore un long chemin à parcourir pour éradiquer la pauvreté et rattraper le retard. Pourtant, nous sommes profondément persuadés que notre peuple, en se transmettant génération après génération ce flambeau d'espoir et de courage, en bravant les adversités et en luttant avec vaillance et persévérance dans l'unité, parviendra à faire de la Chine un pays socialiste moderne, prospère, démocratique et hautement civilisé.

La Chine poursuit, avec une détermination inébranlable, sa voie de développement pacifique et sa politique d'ouverture dans l'esprit des avantages réciproques et du gagnant-gagnant. Comme tous les hommes clairvoyants le constatent, le développement de la Chine, loin d'être une menace, est une opportunité pour le monde. Le développement de la Chine dans la stabilité constitue en soi une contribution à la paix et à la prospérité mondiales. A travers sa longue histoire ainsi que les pires souffrances qu'elle a endurées, la nation chinoise s'est dotée d'un esprit de persévérance sans faille et de tolérance à toute épreuve. Bien que victime des innombrables drames des siècles écoulés, la Chine, membre de la communauté internationale, a apporté, par son labeur et sa sagesse, sa part de contribution à l'évolution et au développement des civilisations du monde. De tous temps, la nation chinoise a été fidèle à son engagement, attachée à l'amitié et éprise de paix. Ayant souffert énormément des invasions perpétrées par des puissances étrangères dans son passé récent, elle connaît à fond le prix de la paix. Suivre la voie d'un développement pacifique, c'est pour la Chine un choix logique, dicté par son histoire, ses traditions culturelles, ses intérêts et ses besoins réels, un choix ferme fait pour une longue période.

Mesdames et Messieurs,

Les échanges culturels sino-français ont inscrit un brillant chapitre dans les annales du développement des civilisations orientales et occidentales. Les Chinois éprouvent depuis longtemps un vif intérêt pour la culture française. Les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, de Montesquieu et d'autres penseurs français, très tôt traduits en chinois, se sont largement répandus parmi les intellectuels chinois progressistes. L'esprit de la Révolution française « liberté • égalité • fraternité », introduit en Chine dans les temps modernes, a servi d'arme spirituelle au mouvement de la lutte engagée par notre peuple contre le féodalisme et le colonialisme. Ainsi, le penseur chinois Yan Fu a avancé à cette époque l'idée selon laquelle « la liberté est ce qu'il y a de plus précieux pour un homme, tout comme l'indépendance l'est pour un Etat ». Dans l'histoire contemporaine, bon nombre de révolutionnaires, moralistes, écrivains et artistes chinois ont fait leurs études en France et se sont imprégnés de la culture française. Les dirigeants chinois de la vieille génération Zhou Enlai et Deng Xiaoping ont aussi étudié et travaillé en France, à la recherche d'un horizon nouveau. Ba Jin, un illustre écrivain chinois contemporain, a dit : « Je suis reconnaissant à mes professeurs français, parce qu'ils m'ont appris à aimer la vérité, la justice, la patrie, le peuple, la vie et tout ce qui est beau en ce monde ».

Dès le 17e siècle, « Les Entretiens de Confucius », « La Grande Etude » et d'autres classiques du confucianisme ont été introduits en Europe par la France, dont la capitale Paris est devenue le centre européen de « la culture chinoise en vogue ». Bien des éminents penseurs français, comme Descartes, Voltaire, Quinet et Montesquieu, ont fait des recherches approfondies sur la culture chinoise. Dans son fameux « Essai sur les mœurs et l'esprit des nations », Voltaire indiquait : Seuls de tous les peuples, les Chinois ont constamment marqué leurs époques par des découvertes historiques et créé une magnifique culture pleine de bons sens. Les autres nations inventèrent des fables allégoriques, et les Chinois écrivirent leur histoire d'une manière incomparable, la plume et l'astrolabe à la main. A l'époque contemporaine, beaucoup d'hommes politiques et de lettres français ont témoigné un profond attachement à la culture chinoise. Le poète français Saint-John Perse, lauréat du prix Nobel de littérature en 1960, a accompli son chef-d'œuvre « Anabase » dans un temple taoïste de la banlieue ouest de Beijing.

Aujourd'hui, les relations entre la Chine et la France se trouvent à un niveau de qualité jamais atteint. En effet, la confiance stratégique mutuelle s'accroît sans cesse, les liens économiques et commerciaux se resserrent de plus en plus, et les échanges culturels s'intensifient avec un dynamisme extraordinaire. Le gouvernement chinois accorde une haute importance à la coopération amicale entre les deux pays, et le peuple chinois attache un grand prix à son amitié avec le peuple français. A nos yeux, la France est un ami sûr, un partenaire fiable. Nous sommes donc pleinement confiants dans l'avenir des relations sino-françaises.

Mesdames et Messieurs,

La culture est le meilleur trait d'union entre les esprits. La civilisation française et la civilisation chinoise, deux fleurs flamboyantes dans le merveilleux jardin des civilisations du monde, proviennent l'une comme l'autre d'une histoire très ancienne et infiniment riche, en même temps qu'elles montrent chacune une vitalité sans borne dans la création. J'espère que les Années croisées Chine-France, qui viennent de se terminer, constituent un nouveau point de départ, très significatif, des échanges et de la coopération cultuels entre les deux pays. « Pour la patrie, les sciences et la gloire », cette devise de l'Ecole Polytechnique représente l'aspiration et le rêve de la jeunesse française. La jeunesse est l'espoir de la nation, l'avenir du monde. J'appelle de tous mes vœux que les peuples chinois et français, notamment les jeunes des deux pays, travaillent la main dans la main à renforcer leurs échanges et à approfondir leur connaissance mutuelle, pour assurer le rayonnement de leurs cultures mutuellement enrichissantes et construire ensemble un monde nouveau, où règnent la paix, l'entente et l'harmonie.

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